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Muséographie, scénographie, expographie, muséologie, autant de mots qui ont de quoi donner le tournis et porter à confusion dans notre compréhension de ce tourbillon qu’est la conception d’exposition. Bien qu’appartenant à un même domaine d’activité, les compétences de chacune de ces sciences sont indispensables au bon déroulement d’un projet d’exposition. Certains termes plus explicites que d’autres, il en est un qui nous intéresse particulièrement : la muséographie. Si par étymologie nous comprenons un lien entre le musée et l’écriture, qu’en est-il du sens réel de cette discipline ?

Reconnue dès 1926 par la création de la revue Mouseion : revue internationale de muséographie, impulsion de l’Institut international de coopération intellectuelle, organe de la Société des Nations[1], elle demeure néanmoins peu explicitée. C’est lors de l’Exposition Universelle de 1937 que se profile plus clairement ses objectifs : « fixer [l’]attention [des visiteurs] et conserver et présenter les œuvres d’art »[2]. Déjà pluridisciplinaire, les fonctions de la muséographie concernent dès lors la pratique des objets mais aussi celle des publics. « [L]’affiche de cinéma […], le catalogue, la visite guidée, […] la présentation d’expositions » s’inscrivent comme diverses méthodes pour «attirer, éduquer et retenir le visiteur » et participent à faire de la muséographie cet « art de la présentation » [3] qui perdure encore aujourd’hui. C’est peut-être de cette vision technique que découle la proposition de Georges-Henri Rivière, grand ponte de la muséologie et fondateur du musée des arts et traditions populaires de Paris, qui présente la muséographie comme « un corps de techniques et de pratiques appliquées au musée »[4]. Définition assez vague qui participera, selon Serge Chaumet et Agnès Levillain, à une confusion au sein du monde professionnel de la nature même de la muséographie[5]. Pourtant, la discipline connait une évolution majeure dans les années 80 où l’émergence de nouveaux lieux muséaux sans conservateur, la professionnalisation du métier de scénographe d’exposition (ou expographe)[6] et la multiplication d’un nouveau type d’exposition dite temporaire[7], pousse la muséographe à prendre son envol et devenir un métier à part entière.

Et si la réponse à notre question de départ résidait non pas dans le concept mais dans le métier associé, le muséographe ? Souvent confondu avec le conservateur, scénographe ou chercheur, le métier de muséographe a mis longtemps avant d’acquérir l’indépendance, encore fragile, qu’il connaît aujourd’hui. Davantage vu comme un ensemble de compétences plus qu’une profession en soi, il peine à se faire reconnaître en tant que tel. Pour ne rien résoudre, la loi musée de 2002, laisse de côté les réflexions sur les métiers du musée et prolonge l’errance des rôles de chacun dans la conception d’exposition. 2007, Serge Chaumet et Agnès Levillain, déclenchent un débat dans le monde muséal avec un article partant d’une interrogation simplissime mais pourtant essentielle : « Qu’est-ce qu’un muséographe ? ». Dès lors, ce curieux personnage se distingue définitivement, ou presque, du muséologue et du scénographe (ou expographe). Le muséologue est celui qui « étudie les musées », le scénographe celui qui « conçoit le dessin et la mise en scène de l’exposition », le muséographe celui qui « définit les contenus »[8]. Simples et claires, ces définitions suscitent néanmoins moultes protestations s’insurgeant contre l’abandon de certaines tâches souvent prises en charge par le conservateur, scénographe ou autre intervenants. Les habitudes ayant la peau dure, cette conception finit toutefois par faire son chemin et s’installe progressivement dans les mentalités sans pour autant que le combat soit encore gagné…[9]

Héritière de ces débats, la définition proposée par l’association Les Muséographes, créée en 2012, paraît la plus complète pour répondre à notre interrogation :

1. Concepteurs de contenus d’une exposition et de leurs modes de médiation vers les publics.

2. Ceux qui élaborent la programmation muséographique à partir de laquelle œuvrent scénographes, graphistes, réalisateurs multimédias… [10]

Contenus, médiation, programmation, le trio gagnant du muséographe, qui par ses natures diverses prouve bien qu’une profession spécifique est plus que nécessaire à la bonne conduite de tous ces objectifs ! Forts de cette compréhension théorique, il nous reste à comprendre ce que cela implique, car, concrètement, à quoi cela ressemble d’être muséographe ?

Tout d’abord, il est important de rappeler que le muséographe ne travaille pas seul. Il fait partie du commissariat de l’exposition et travaille de concert avec le documentaliste qui réunit « tous types de documents écrits, images, films » nécessaires aux propos de l’exposition, et le scientifique qui apporte les connaissances, bases fondamentales du discours narratif[11]. Dépendant du cadre de l’exposition, ses missions s’articulent toujours autour de quatre axes :

  • Le contenu : au même titre qu’il nous semblerait impensable de réaliser un film sans scénariste, concevoir une exposition sans muséographe est une entreprise périlleuse ! Responsable des contenus, il élabore le chemin de pensée de l’exposition en articulant, au sein d’une histoire, les données scientifiques validées par le commissariat scientifique. Il pense dans les moindres détails, chaque œuvre exposée, cartel associé, dispositif multimédia et tout autres moyens et supports de médiation façonnant l’exposition. Si le parcours fait sens et permet au public d’acquérir le plus de connaissances possible tout en se divertissant, c’est mission réussie !
  • Les usagers : et en effet, le muséographe travaille avant tout pour le public. Ses réflexions sont construites dans le but de transmettre des savoirs dans un cadre adapté et défini par le projet d’exposition, une question centrale étant : quel public vise-t-elle ? Il se confronte alors à un grand travail de traduction des données scientifiques en contenus accessibles au public, ainsi qu’à une tâche de hiérarchisation des discours[12] pour concevoir plusieurs niveaux de lecture. Du passionné à l’enfant en passant par le visiteur simplement curieux, il en est des moyens de médiation auxquels le muséographe doit penser et même inventer pour satisfaire son audience !
  • Les collections : contenter son public certes mais pas au détriment des objets exposés ! Sans être conservateur, et d’ailleurs souvent assisté d’un, le muséographe doit connaître les bases de conservation préventive des éléments qu’il décide de mettre dans l’exposition. Qu’il s’agisse des conditions atmosphériques ou de sécurité, il est le garant du respect des protocoles de conservation dès la rédaction du projet et jusqu’au démontage de l’exposition.
  • Les intervenants : enfin, la conception d’exposition demeure fondamentalement un travail d’équipe, le muséographe faisant le lien entre la plupart des intervenants. La structure du projet naissant avec lui, il est de son ressort de communiquer le plus clairement possible des intentions de l’exposition avec les autres intervenants (scénariste, graphiste, concepteur multimédia…) tout en laissant l’espace nécessaire à la liberté artistique de chacun. À la lumière du chef d’orchestre, il élabore et assure le maintien du calendrier et du budget pour que tous puissent contribuer au mieux à la concrétisation du scénario, en gardant à l’esprit la multitude d’imprévus qui font la beauté, parfois pénible, de ce genre de projet !

Employé de musée, travailleur indépendant ou salarié d’une agence d’ingénierie culturelle (comme Perles d’Histoire !), entre autre, le muséographe est donc un élément essentiel à la conception d’exposition. Concepteur des contenus et des modes de médiations, il est l’assurance que l’exposition a un sens et qu’elle s’adapte aux publics visés. Alternant entre ses casquettes de scénariste et de chef d’orchestre, il assure un lien entre les équipes pour porter à bien le message au sein de toutes ses réalisations. Fervant défenseur de cette displine certes reconnue mais encore fragile sur bien des aspects, il participe, par sa créativité, à montrer tous les intérêts de la muséographie dans la transmission de savoirs. Il ne s’agit donc plus uniquement d’un concept théorique né au milieu des années 20, mais bien d’un ensemble de pratiques visibles permettant de faire rayonner une infinité de savoirs et d’histoires auprès de publics toujours plus curieux !

 

[1] Line OUELLET, « La muséographie au Canada : une pratique réputée, une formation en devenir », Perspective, 2008, p. 513

[2] Ibid

[3] Ibid

[4] Georges-Henri RIVIERE, La Muséologie, 1989

[5] Serge CHAUMET, Agnès LEVILLAIN, « Qu’est-ce qu’un muséographe ? », La lettre de l’OCIM, 2006, p. 14

[6] Serge CHAUMET, Agnès LEVILLAIN, « Qu’est-ce qu’un muséographe ? : dix ans après…», La lettre de l’OCIM, 2019, 55-57

[7] Projet d’exposition, guide des bonnes pratiques, 2015 (1re édition), http://scenographes.fr/scenographes.fr/documents/guideexpo_nogloss.pdf (consulté le 21/06/2023)

[8] Serge CHAUMET, Agnès LEVILLAIN, « Qu’est-ce qu’un muséographe ? : dix ans après…», La lettre de l’OCIM, 2019, p. 55-57

[9] Martine THOMAS-BOURGNEUF, « Nous, les muséographes, les gens de contenus, nous sommes quasi invisibles », dans André GOB, Noémie DROUGUET (dir), La Muséologie, 2021, p. 215-218

[10] Site internet de l’association Les Muséographes, https://les-museographes.org (consulté le 22/06/2023)

[11]  Projet d’exposition, guide des bonnes pratiques, 2015 (1re édition), http://scenographes.fr/scenographes.fr/documents/guideexpo_nogloss.pdf (consulté le 21/06/2023)

[12] Serge CHAUMET, Agnès LEVILLAIN, 2006, p. 15

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